L' art rupestre du Sahara

Dans le jeu d' ombres et lumières ces dessins sont les témoins d' un passé lointain.

 

Défilé de girafes. Tin Abanhar.

Sur tous les continents, l' art rupestre constitue d' immenses archives de l' histoire humaine : un ensemble de signes, de figures, de symboles, d' idéogrammes, que l' homme a laissé sur les roches, à l' intérieur et à l' extérieur des grottes.

L' art des peuples sans écriture est le miroir de leur âme, de leur esprit, de leur intellect. Il constitue une source documentaire essentielle pour comprendre les fondements conceptuels; Les paradigmes de l' homme préhistorique sont à la racine même de notre être et s'y trouvent profondément ancrés. (Henry de Lumley).

La période du Néolithique en Afrique est connue surtout par la source documentaire incomparable qu' est l' art rupestre. Le Sahara est le plus vaste musée en plein air du monde.

On peut se demander quelle signification particulière pouvait bien avoir, pour ceux qui l' ont fréquenté, une zone où plus d' un million de figurations subsistent encore. Pour qu 'une population entière s' engage à réaliser des oeuvres d' une telle envergure, ses motivations devaient être très fortes ....

 

Timedassaousset.
Iheren.
Tin Abanhar.

Remonter l' histoire de l' homme dans le temps, redécouvrir et analyser sa production artistique, en tirer des enseignements et des suggestions nous permet de grandir, d' évoluer. Cela signifie aussi retrouver les traces primitives d' une iconographie et d' un graphisme qui sont encore la base de notre culture contemporaine. (Henry de Lumley).

L' art rupestre du Sahara a été révélé au grand public par Henri Lhote, notamment avec l' exposition en 1958 à Paris des relevés des peintures du Tassili N'Ajjer (Tassili de Tamrit au dessus de Djanet) effectuées durant les année 1956 et 1957. Le tassili fait alors une entrée fracassante dans l' histoire de la civilisation. Henri Lhote organisera ensuite plusieurs expédition dans le Tassili (plateau de Tidjelahine, oued Djerat) et publiera de nombreux ouvrages de vulgarisation pour le grand public.

Les premières découvertes de cet art rupestre sont à mettre au crédit des explorateurs du Sahara (Heinrich Barth, Henri Duveyrier entre autres) qui ont tout de suite attribué ces manifestations artistiques à un lointain passé.

Les militaires prennent ensuite le relais des explorateurs. Liées à la conquête militaire, les découvertes ont lieu à partir des centres de culture (Iherir, Illizi, Djanet ...). Les premiers relevés des sites majeurs du Tassili (oued Djerat, plateau du Medak) sont l' oeuvre du lieutenant Brenans. Il eut le mérite d' alerter les scientifiques (notamment Maurice Reygasse, et l' abbé Breuil). Il fit connaîtreà Henri Lhote les sites qu' il avait repéré sur le plateau, notamment celui de Jabbaren. Il fut le premier à pressentir l'exitence d' un véritable art saharien. Ce fut peut être lui qui eut l' idée d' une campagne systématique de relevés des fresques du Tassili, idée reprise à sa mort par henri Lhote.

Entre temps, une ethnologue suisse, Yolande Tschudi, effectue plusieurs relevés qu 'elle publie en 1956 avec une des premières tentatives de classification chronologique des oeuvres.

Grâce aux croquis du lieutenant Brenans et à l' ouvrage de Yolande Tschudi l' idée que le Sahara central constitue un ensemble rupestre riche se dessine. L' Europe découvre que les racines civilisationnelles des Africains sont bien plus anciennes que les pyramides.

Jusqu'au milieu du vingtième siècle le Sahara est considéré comme une contrée aride et inhabité, à part quelques Touaregs qui luttent pour leur survie. La découverte de l' art saharien balaie cette vision des choses. Les fresques révèlent que le Sahara avait été fertile et qu' il avait été le foyer d' une grande diversité de cultures annonçant celles des peuples de l' Afrique actuelle.

 

Mohamed, guide d'Iherir, devant l' hippopotame de Tan Toudouft.

Si les noms des explorateurs et des scientifiques sont liés au Tassili, il convient de leur adjoindre les guides Touaregs qui sont les véritables découvreurs de ces peintures. En premier lieu il faut citer Jebrine qui fut le guide de Brennans et de Lhote et l' auteur de la plu part des découvertes d' abris.

Cheikh Chamba servit de guide à Henri Lhote lors de l' expédition sur le plateau de Tadjelahine en 1970. En 2002 il nous accompagnait encore, pour notre plus grand bonheur, et nous montrait les principaux abris.

Aujourd'hui les images connues des différentes publications de Lhote sont difficiles à repérer sur le terrain, les guides ont vieilli et perdu la mémoire de certains lieux. Cheikh Chamba approche les 70 ans et son jeune (!) disciple frôle les 60 ans. Il n'y a plus beaucoup de nomades sur le plateau et les jeunes devenus citadins ne connaissent plus que les principaux sites.

Cheikh Chamba nous montra ainsi lors de notre récent voyage des sites connus de lui seul qui risquent de retomber dans l' oubli si un corpus complet n' est pas réalisé rapidement.

Les hommes du néolitique n' ignoraient rien des plaisirs. Tan Toudouft.
Scène de chasse à l' antilope. Jabbaren.
Tan Toudouft.

 

La Chronologie.

Cet art rupestre ne correspond pas à une brève période d' activité. Il s' étale sur une longue durée pendant laquelle il n'a cessé d' évoluer.

Dans une chronologie devenue classique, proposée initialement par Théodore Monod puis reprise et développée ensuite par Henri Lhote, on considère des périodes archaïques, bubaline et tête ronde, contemporaines de chasseurs traquant la grande faune sauvage notamment le grand buffle (datation située dans le grand humide antérieure à 7500 BP), suivies d' une période pastorale où règnent les bovidés (entre 6500 BPet 4500 BP) puis surviennent deux périodes appartenant à la proto-histoire: la période caballine qui voit l' introduction du cheval et les fameux Garamantes (entre 3500 et 2000 BP) et enfin la période caméline lorsque le dromadaire fait son apparition. Ces animaux donnent des repères écoclimatiques et socioculturels.

Depuis les années 1980 des chercheurs, tels A. Muzzolini ou J.L. Le Quellec proposent une chronologie plus courte dans laquelle les périodes bubaline et pastorale ne sont en fait que des visions d' un vaste ensemble regroupant des styles différents. Il s' appuient sur un argument de poids : la présence de boeufs domestiques dans tous ces styles, avec pour conséquence un rajeunissement de l' art rupestre dont le début est estimé après l' aride mi-Holocène (7500 - 6500 BP).

Cette chronologie a le mérite de s' élever contre le préjugé d' un évolutionnisme culturel linéaire qui voit se succéder le stade des chasseurs, celui des éleveurs et enfin des agriculteurs et où le chasseur est toujours considéré comme un primitif et un sauvage associé à une mentalité archaïque. Au contraire pour l' ethnologue Marshall Sahlins, le paléolithique était l' âge d' abondance, nos ancêtres chasseurs ne consacraient que quelques heures à la chasse, ils acquéraient facilement de la nourriture puisqu' ils n' étaient pas nombreux. C' est le mythe du paradis terrestre qui est resté dans toute les religions.

Les choses ne sont pas aussi simples et les séparations entre les périodes pas aussi évidentes. Les chasseurs-cueilleurs ont cohabité avec les pasteurs pendant très longtemps. Dans l' Afrique subsaharienne l' idée de succession doit être remplacée par celle de coexistence.

 

Tin Abanhar.
Tadrast.
In Eidi. Akakus.

Il y a 50 ans à peine, les Bushmen du Kalahari et les Pygmées de la grande forêt équatoriale vivaient exclusivement de chasse et de cueillette à peu prés de la même façon que nos très lointains ancêtres du Paléolithique. Dans le même temps et à une distance de quelques kilomètres des villages d' agriculteurs-éleveurs vivaient en autosubsistance comme ceux du Néolithique. Ces communautés paléolithiques et néolithiques n' ont pas disparu avec l' urbanisation massive et désordonnée du dernier quart de siècle.
Conservatisme et adaptation à des normes nouvelles, ces deux formes d' esprits antagonistes chez les Occidentaux sont étroitement liées en Afrique noire non seulement dans le cadre d' un groupe social donné, mais encore - et surtout - dans la tête des urbanisés ayant accédé à un mode de vie moderne. (Marianne Cornevin).

Jusqu' à présent l' absence de datation directe des peintures et des gravures (les dates données ne proviennent que des objets trouvés lors de fouilles effectuées sur les sites dont rien ne prouve qu 'ils sont de l' époque des artistes) ne permettait pas de départager les deux chronologies. Une nouvelle technique de datation qui utilise la spectométrie de masse par accélérateur (à partir d'échantillon de peinture contenant des matières organiques) vient de donner des résultats intéressant dans l' Akakus. Des images rupestres attribuées à l'école des "têtes rondes" sont datées entre 5000 et 6000 BP, donc bien plus jeunes que les estimations classiques et contemporaines des images pastorales.

Le classement des représentations rupestres en fonction de leur âge n' est pas suffisant. En effet des peintures où gravures de la même période peuvent présenter des aspects totalement différents. Le style peut être aussi utilisé pour les différencier. Certains auteurs privilégient les ressemblances stylistiques et thématiques et proposent une approche pan-saharienne en s' appuyant sur le fait que les artistes appartenaient à des sociétés nomades très mobiles.

Alfred Muzzolini préconise une approche plus régionale et définit des écoles stylistiques caractérisées par des traits discriminants qui s' inscrivent dans une même séquence spacio-temporelle. Par exemple pour la région du Tassili N'Ajjer et la période bovidienne l' école de "Iheren-Tahilahi" est caractérisée par les critères : peintures au trait et personnages de type européen.

Une autre approche est la comparaison des aires de distribution des écoles de peinture et des types de monuments funéraires, qui eux peuvent être datés plus facilement.

Dans l'état actuel des connaissances on peut admettre que l' art rupestre saharien a débuté après l' aride mi-holocène, lorsque le Sahara connaissait sa dernière grande période humide. Les écoles les plus anciennes seraient l' oeuvre de différents groupes culturels, chacun avec son style propre, mais qui avaient élaboré une haute civilisation pastorale. Il s' est ensuite généralisé et uniformiser sur tout le Sahara avec les périodes caballines et caméline et l'apparition des premiers berbères.

 

Peinture "têtes rondes". Tan Barsolla. Akakus.

Pourquoi l' art rupestre?

L' art rupestre est rarement gratuit (l' art pour l' art). Il traduit toujours une volonté de créer une image durable et d' influer sur le cours des choses. Il semble évident que les pasteurs sahariens ne se sont pas contentés de représenter des scènes de la vie quotidienne, mais qu'une grande partie de leur art rupestre a un contenu religieux. La motivation première a dû être la nécessité d' une communication, avec les autres membres du groupe ou avec des entités surnaturelles, divinités ou esprits.

L' étude de l' art rupestre que pratiquent encore de nos jours des peuples que l' ont qualifie à tort de "primitifs", montre une grande diversité et une extraordinaire complexité. Les interprétations fournies par les initiés des cultures contemporaines démontrent l' impossiblité de deviner le sens des figures lorsque la tradition qui les a engendrées est perdue. Les images ne parlent pas par elles-mêmes.

On peut imaginer un extra terrestre arrivant sur terre après la catastrophe nucléaire, découvrant dans tous les villages des sortes de temples avec des images représentant un homme sanguinolant cloué sur une croix. Il aurait du mal à reconstituer une religion où le dieu est amour !!

Peinture tête ronde. Sefar.
Taureau. Iyeyen. Akakaus

Mais si le sens est défintivement perdu, la perception du rapport entretenu avec le sacré semble évident, surtout dans les oeuvres anciennes.

Parmi les gravures bubalines les images ne cherchent pas à représenter des scènes de la vie quotidienne, on y voit par contre des géants dans des illustrations de récits mythiques, des danses, des personnages masqués et les espèces animales représentées ne sont aucunement un reflet de la faune de l' époque.

Dans le monde des peintures de l' école des "têtes rondes" on est encore plus loin de la vie quotidienne. Presque tout dans cet art demeure opaque à nos yeux.

Et si dans de nombreuses images nous ne pouvons reconnaître que de simples représentations animales, souvent des bovins, il est fort

possible qu' au sein de la société des artistes elles aient été le support d' un symbolisme particulier. En effet de nombreux indices picturaux montrent que les pasteurs sahariens attribuaient une valeur mythique à leurs bovins. On sait aussi que les habitants du Sahara pratiquaient des sacrifices de bovins qu' ils inhumaient ensuite (sépultures de Mankhor, de l' Adrar Bous, de Nabta Playa).

Ainsi les arts peints et gravés des périodes anciennes sont toujours emprunts de religiosité. Le contraste est total avec les oeuvres des périodes plus récentes, "caballine" et "caméline", où l' on trouve bon nombre de représentation de guerriers, souvent montrés en action de combat ou de chasse. Ceci témoigne d' un monde qui n' a plus grand chose en commun avec celui des images anciennes. On peut penser que ces modifications sont dues à l' arrivée des premières populations méditérranéennes (berbères) porteuses d' une idéologie en rupture avec les croyances des anciennes populations sahariennes.

 

Les sites d' art rupestre.

Site de Telimorou, région de Fada (Ennedi)

Cheikh Chamba devant la grotte de Tahilahi. Plateau de Tadjelahine.

Cette présentation sera illustrée par des images provenant de sites visités :

en Libye : massif de l' Akakus et secteur de l' oued Aramat;
en Algérie : plateau du Medak, plateau de Tadjélahine au Tassili N'Ajjer, région de la Tadrart;
au Tchad : massif de l' Ennedi;
au Niger: massif de l' Aïr.

Les sites de peintures du Tassili N' Ajjer se situent généralement dans les forêts de pierres (Sefar, Jabbaren, Tin Abanhar ...) des "villes" divisées par des "rues" creusées par l' érosion et bordées de parois rocheuses sur lesquelles on observe les compositions.

Les sites de l' Ennedi se trouvent dans des vallées où les rivières ne coulent plus aujourd'hui que très rarement et seulement sur quelques kilomètres au gré des orages. Les grottes et les abris où l' on peut contempler des peintures se trouvent le plus souvent au pied des escarpements, à diverses hauteurs et précédés d' une terrasse dominant une grande plaine.Il n' est pas nécessaire que la falaise soit haute ou que le bloc de grès présente d' imposantes surfaces planes pour trouver de l' art rupestre. Il semble que le biotope ait plus d' importance que la qualité des parois. Cet art est intimement lié à l' environnement des sites et tout randonneur remarquera qu' il y fait souvent "bon vivre"et camper.

Certaines de ces grottes sont encore utilisées par les nomades comme consignes à bagages.

Les principaux sites de gravures (Iwelen dans le massif de l' Aïr, oued Djerat au Tassili N' Ajjer) se trouvent par contre dans le lit des oueds.

 

Les boeufs polychromes de jabbaren (Ajjer).

La couleur naturelle du grès est jaune. Hors abris il est fortement patiné en rouge, couleur dominante du paysage avec le blanc jaune du sable.

La palette des couleurs n' est pas très riche. Elle est limitée par les ressources locales. Le rouge domine et provient de nodules d' ocre naturel (schistes de couleurs diverses) qui par endroits affleurent en grandes quantités. Les couleurs les plus souvent employées sont les différentes nuances de rouge, de violacé, de jaune. Ce sont les couleurs des schistes les plus communs. Le gris, le bleu, le vert olive, qui apparaissent notamment dans les peintures de masque, proviennent également de schiste dont l' existence est plus rare. Quand au blanc les peintres devaient aller le chercher en quantité importante dans les gisements de kaolin peu nombreux qui pouvaient être très éloignés des sites. Un filon de terre blanche (kaolin) affleure au sommet de l'abka Tafelet (plateau du Medak).