Le désert n' est pas
décevant, lui, même ici, à ce seuil
où il ne fait que commencer d' apparaître.
Son immensité prime tout, agrandit tout, et,
en sa présence, la mesquinerie des êtres
s' oublie. (Pierre Loti).
gazelle
couchée. Tin Teghert.
Quel que soit la chronologie utilisée,
longue ou courte, les auteurs s' accordent pour reconnaître
l' existence d' un ensemble de gravures homogènes :
période Bubaline pour les uns ou école du Bubalin
Naturaliste pour les autres.
Il s' agit de belles gravures, au sens de
nos critères occidentaux modernes. On peut les identifier
par trois critères discriminants :
le style : c' est le critère principal,
c' est un style figuratif. Le contour est dessiné
à grands traits, les détails internes sont
parfois minutieusement précisés. Le but est
une expression d' ensemble aux proportions justes. Ce style
est qualifié de "naturaliste".
un contour large, soit poli et profond,
soit piqueté mais très soigné
une patine sombre. Au Sahara la plupart
des roches sont recouvertes de ce qu' on nomme la patine.
C' est un enduit minéral dur, d' épaisseur
inférieur au centimètre qui est issu d' un
processus de modification physico-chimique. Il évolue
avec le temps, la couleur devenant généralement
de plus en plus sombre. La patine sombre de ces gravures
traduit leur relative ancienneté.
Grand
buffle antique. Région d' Aramat. Photo F. Soleihavoup.
Archéologia.
Deux
grands buffles antiques. Wadi Takabart. Messak. Libye.
Il n' existe cependant pas de véritable définition
précise et satisfaisante du naturalisme, malgré
de nombreuses tentatives. Cependant ce terme est devenu habituel
et il est conservé pour désigner l' ensemble
des oeuvres non schématique et non fantastiques , représentant
des animaux avec un certain souci du détail, des conventions
de perspective proche de celles qui nous sont familières
et en livrant des indications sur les masses musculaires.
Un autre trait traditionnellement discriminant est la présence
du Bubalus antiqus, grand buffle antique, boviné
sauvage d' aspect redoutable qui a disparu de nos jours.
Ce bovidé possède
des cornes spectaculaires (un crâne découvert
lors de fouille présente un cornage de 3,60 m d' envergure)
qui ont du certainement impressionner l' imaginaire des graveurs.
Appelé naguère Bubalus
(d' ou le nom de la période) puis Pelorovis antiquus
il ne pourrait être en fait qu' un ancêtre du
buffle africain actuel, d' ou une nouvelle dénomination
proposée par certains auteurs: Syncerus caffer antiquus.
On a longtemps considéré que le buffle antique
avait disparu très tôt ce qui en faisait un fossile
directeur de la période la plus ancienne.
Cependant des découvertes récentes
(notamment en Libye dans le secteur des Aramat) de peintures
de buffles antiques dans des styles caractéristiques
de la période bovidienne finale (style d'Iheren-tahilahi)
laissent supposer que ce grand buffle sauvage à vécu
bien plus tard, certainement jusqu 'à la fin du Néolithique,
et qu' il a continué d' être chassé par
les populations des périodes pastorales.
On a souvent caractérisé ces
gravures par leurs dimensions imposantes et même "monumentales".
Cependant il semble que cet aspect monumental dépende
de nombreux facteurs et en premier lieu de la la place disponible.
Les dimensions sont en fait assez variables et il est plus
correct de parler simplement pour ces oeuvres d' une "propension
aux grandes dimensions". Il existe cependant des figurations
monumentales, le record est une girafe 8 m de haut dans l'
oued Djerat.
Les gravures de style
bubalin de Tin Teghert et de l' oued Djerat au Tassili sont
à rapprocher de celles du Messak Libyen et de l' atlas
saharien. La communauté stylistique de ces trois centres
est évidente malgré des variantes locales. Quelques
sites relais existent entre ces centres principaux, sur la
bordure du Tassili, en Tadrart ainsi qu' au Djado. On peut
aussi inclure quelques gravures de l 'Aïr.
Le grand
boeuf de Tin Teghert.
Le site de Tin Teghert.
Les gravures du site de Tin Teghert,
dans la grande dépression de Dider, appartiennent en
grande majorité à la période bubaline
et sont apparentées à celles du célèbre
l' oued Djerat.
Les grandes dalles sont couvertes de magnifiques gravures
d' animaux (boeufs, girafes, gazelles, rhinocéros,
autruches) d' un naturalisme parfait. La technique est soignée
avec un trait poli et net.
L' originalité de Tin Teghert réside
dans la présence de gravures de boeufs aux dimensions
démesurées. L' un d' eux atteint 5,5 m de
long et a le corps entièrement décoré
de dessins spiralés, ce qui en fait une oeuvre unique.
La spirale est un motif symbolique fréquent,
et presque spécifique, dans les oeuvres du bubalin
naturaliste.
Détails
de la tête du grand boeuf au corps
décoré de spirales.
Le signe symbolique de la spirale est l' un
des plus répandus dans toutes les cultures. Les dictionnaires
des symboles accordent à la spirale une valeur de fécondité
aquatique et lunaire.
Une explication possible serait de voir dans
certaines spirales un signe marquant des lassos utilisés
pour la capture d' animaux domestiques ou sauvages.
Il convient de noter enfin que la spirale
fait partie de nombreux récits mythiques de la fondation
de l' univers en Afrique (Dogons, Bambara, ...), exprimant
la dynamique de la vie, la vibration originelle.
3
girafes cous tendus, broutant les feuilles
d' un arbre. La hauteur est 0,80 m.
Autruches doubles.
Les représentations animales.
Contrairement à l' idée reçue qui présente
cette école comme une période "prépastorale"
avec une faune exclusivement sauvage, les boeufs sont de loin
les plus nombreux dans les gravures bubalines. Ils représentent
environ 20 % des figurations animales de l' oued Djerat et
de l' ordre de 35 % de celles du Messak Libyen. Ces boeufs
sont dans une grande majorité domestiques et portent
les signes de cette domestication.
Hibou. Tin Teghert.
Têtes
de girafes.
Les animaux sauvages constituent un des thèmes des
graveurs: girafes, buffles, rhinocéros, éléphants,
autruches, gazelles. Il s' agit de la grande faune "éthiopienne",
c 'est ainsi que l' on appelle traditionnellement les très
gros mammifères africains. Les différents ouvrages
consacrés à l' art rupestre du Sahara donnent
l' impression trompeuse que ces figurations sont très
abondantes, mais les études statistiques montrent qu'
elles ne sont pas si nombreuses qu' on la fait supposer.
Le site de Tin Teghert surprend par les représentations de
hiboux et de chouettes. On dénombre une quarantaine
d' exemplaires de ces oiseaux nocturnes alors qu' ils sont
quasiment inconnus ailleurs à part dans l' oued Djerat.
Ces gravures d' oiseaux présentent un trait piqueté
qui recouvre par endroit le trait poli de gravures plus anciennes
ce qui laisse penser qu' elles appartiennent à un étage
plus récent et correspondent à une évolution
de la période bubaline.
Autruches à deux têtes. Les animaux doubles
sont fréquents dans l' art rupestre. La plupart concernent
des bovidés mais les autruches ne sont pas rares.
Les bovidés monstrueux à deux têtes peuvent
être rapprocher de certains mythes, notamment du mythe
peul de Kumen. Chaque année les Peuls revivent
certains épisodes de ce mythe au cours d' une cérémonie,
le Lotori, qui exige la présence d' une représentation
d' un boeuf bicéphale.
Personnages
de Tin Teghert. On peut supposer que deux des personnages
sont munis de masques que le graveur aurait rendus par
un polissage accentué de la roche.
Un des nombr.eux
bovidés de Tin Teghert
Les
mamelles gonflées d' une vache. Tin Teghert
Le personnage de
droite possède une queue postiche.
Les figurations humaines existent mais elle
reste exceptionnelles. Lorsqu' on peut reconnaître leur
type anthropologique ils sont toujours du type europoïde.
Les armes sont principalement l' arc et un bâton de
jet en forme de faucille, jamais une lance ou un javelot.
Le style des personnage est généralement beaucoup
moins naturaliste que pour les animaux.
Origine des graveurs.
L' aire de distribution
des gravures bubalines est la plus vaste de toutes les écoles
et il parait logique de l' expliquer par l' appartenance des
graveurs à une même grande famille.
Ces gravures sont attribuées selon
les théories classiques à des populations de
chasseurs vivant bien avant la domestication des bovins (avant
7500 BP).
Cependant on remarque le présence d'
un bon nombre de gravures de bovidés qui semblent incontestablement
domestiques comme le montrent les colliers ou les mamelles
gonflées, et dont le style ne diffère en rien
de la faune sauvage.
Ceci laisse à penser que ces oeuvres
sont ne sont pas la production de chasseurs, mais d' un groupe
culturel maîtrisant l' élevage tout en continuant à
pratiquer la chasse. Ceci a pour conséquence de sensiblement
rajeunir ces gravures et de les ramener aux alentours
de 6500 BP, date retenue pour l' apparition de la domestication.
L' examen des gravures ainsi que des études
linguistiques permettent de penser que ces graveurs appartenaient
à des populations d' origine Afrasienne et parlaient
une proto-langue dont vont plus tard dériver de nombreuses
langues dont le berbère.
Les linguistes ont pu reconstituer dans cette
proto-langue, dont le foyer est situé entre le Nil
nubien et les plateaux éthiopiens, des termes relatifs
à la domestication.
Ces populations vont entamer une migration
vers l' ouest en direction du Maghreb et du Sahara central
en traversant le désert occidental d'Egypte et en se
servant de leurs troupeaux comme "garde manger ambulant".
Selon J.L. Le Quellec
" les gravures anciennes du Sahara septentrional et central
furent vraisemblablement réalisées par des populations
afrasiennes, famille linguistique dont la fragmentation est
également à l' origine de l'Egyptien antique
ce qui expliquerait " l' air de famille " signalé
entre les deux régions.