Personnage
"tête ronde" tenant un arc. Tin Aboteka.
Défilé
de mode ? (Sefar).
Entrer dans les forêts de pierre de Séfar ou
de Jabbaren c' est entrer dans des temples. Les peintres n'
ont pas choisi par hasard ces lieux étranges pour y
exécuter leurs fresques. Les images les plus intensément
religieuses se trouvent dans les plus belles forêts
de pierre du tassili, sur la partie la plus élevée
du plateau. Pour ces hommes, cet univers représentait
une terre sacrée où l' esprit régnait.
c' est là, dans les sanctuaires de la Préhistoire,
que se déroulaient leurs cérémonies.
Forêt
de pierres de Jabbaren.
"Têtes Rondes" parce que les
êtres humains sont représentés le plus
souvent avec une tête arrondie où ni les traits
de la face ni les cheveux ne sont figurés. Des visages
anonymes mais d' une présence intense presque envoûtante.
Il est établi que ces "Têtes
Rondes", par leurs caractéristiques anatomiques et culturelles
(scarifications et peintures corporelles) sont des noirs.
Ces nomades ou semi-nomades parcouraient ces vastes territoires
tassiliens, à la fois terrains de chasse et de récolte
végétale.
Des considérations archéologiques
(poterie de style identique "wavy line", sorte de
ligne ondulante imprimée sur la pâte) et linguistiques
(des mots désignant la poterie et la collecte des céréales
sauvages sont identifiés dans les langues issues du
nilo-saharien) laissent penser que des populations parlant
une langue d' origine nilo-saharien auraient, à la
faveur du retour des pluies, migré d' une zone sub-saharienne
située vers le centre du soudan actuel en direction
du massif du Tassili n'Ajjer en passant par l' Ennedi et le
Tibesti. Cette migration a été facilitée
par le réseau hydrographique qui permettait une circulation
aisée entre Khartoum et les massifs sahariens en suivant
notamment le wadi Howar.
On a longtemps pensé que le style des
"têtes rondes" étaient limité
au massif des Ajjer et de l'Akakus en Libye. Mais des découvertes
récentes de peintures cette école dans le massif
de l' Ennedi apportent de nouveaux éléments
à cette hypothèse.
La fresque du "Grand
Dieu". Sefar. Elle s' étale sur toute la
surface d' un abri sur 16 m de long et environ 30 m2.
La paroi est tournée vers une esplanade où
se déroulaient les cérémonies immortalisées
par la fresque.
La technique de peinture apparaît
tout à fait caractéristique : un trait large
dessine la silhouette assez sommairement avec l' essentiel
des contours puis l' intérieur est rempli en teinte
plate.Cette technique présente une telle unité
qu' on reconnaît tout de suite un dessin des Têtes
Rondes.
Le pigment est épais,
très vraisemblablement appliqué à l' état
presque pâteux. la substance colorante n' était
pas seulement un matériau pour l' artiste qui l' appliquait
sur la paroi, mais revêtait un sens spirituel.
Différents styles et étages
se sont succédés mais jusqu'au présent
aucune étude n'a pu les sérier dans un ordre
absolu, mais il se dégage pendant toute cette période
une unité culturelle indéniable. Les changements
dans les styles apparaissent comme des évolutions de
la pensée et de la religion.
Quand les têtes rondes commencent à
peindre, elles exécutent des silhouettes sommaires,
raides et statiques. c' està ce premier stade que ces
artistes peignent des compositions monumentales qui se déploient
sur toute la surface d' un abri.
Le "Grand Dieu".
Sefar.
"Grand Dieu".
Sefar.
Les "Grands Dieux".
Le "Grand Dieu de Sefar". Les principaux
acteurs de la scène sont facilement identifiables :
au centre le "Grand Dieu" qui avec ses 3 m de haut
est particulièrement impressionnant avec une grande
poche entre les deux jambes représentant un pagne ou
une protection phallique ou bien encore un sexe démesuré
et une tête pourvue de cornes, une antilope gravide
rouge et une femme en position horizontale avec un ventre
proéminent, des antilopes blanches qui défilent
de gauche à droite.
Un motif est apposé au corps du "Grand
Dieu", une expression symbolique caractéristique
des peintures de cette période, un motif ressemblant
à une sorte de méduse, qui ne correspond à
rien de connu et s' inscrit dans les grandes compositions
comme un sceau.
Cette fresque exprime de toute évidence
l' idée de la fécondité et son mystère,
la vie et la fertilité. Il y a sur cette paroi le récit
d' un des plus anciens mythes
du monde.
Autre "Grand Dieu" à Sefar,
tenant un bâton dans sa main, un sac attaché à
l' autre poignet, associé à la même trilogie
que le "Grand Dieu" à tête cornue :
antilope, boeuf et orante. Cependant le dispositif de la composition
diffère, le grand dieu n' est pas sexué et il
est marqué d' une image symbolique en forme de croissant.
L' isomorphisme entre le croissant lunaire et les cornes taurines
a été remarqué en différents lieux
et époques.
"Grand Dieu".
Jabbaren.
L'ethno-anthropoloque L.V. THOMAS affirmait
: "l' agriculteur assimile volontiers Terre-Femme-Lune
et Fécondité tandis que le chasseur rapproche
Ciel-Homme-Soleil et Puissance. Si cette "équation"
s' avérait de valeur universelle elle pourrait laisser
supposer que les auteurs des oeuvres préhistoriques
des têtes rondes n' étaient pas fondamentalement
des chasseurs, et que leur imaginaire favorisait plus la fécondité
que la puissance.
Par leur taille et leur hiératisme,
les "Grand Dieux" sont sans doute des divinités,
les femmes qui dansent autour d' eux dans une position de
danse "africaine", portent des masques décorés
de signes symboliques sans doute en rapport avec les attributs
de ces dieux qui ont affaire avec la fécondité.
Procession. Jabbaren.
Les masques.
Les personnages de cette fresque de Jabbaren
ont des têtes parfaitement rondes délimitées
à hauteur du cou par des lignes qui laissent supposer
le port de masques. Ce type de représentation est assez
fréquente parmi les peintures de la période.
Ces représentations ont été
rapprochées de plusieurs types de masques connus en
Afrique dont le décor est dominé par un traitement
non iconique des visages comme par exemple les masques des
Bateke au Congo.
Ces masques auraient pu être de deux
types : Sphériques, faits d' une simple calebasse évidée
et décorée dans le cas des têtes circulaires;
Non sphériques mais plats, réalisés en
bois .
Personnage
mythique portant un masque à grandes oreilles.
Sefar.
Les
danseurs masqués de Sefar.
Un masque aussi naturel qu 'une calebasse
évidée émane du symbolisme. Le but des
rituels est, par le retour périodique aux temps primordiaux,
d' abolir la distinction qui peut s' effectuer entre la divinité
et le masque : pendant le rite, le masque est la divinité.
Les
masques sont connus en plusieurs exemplaires,
portés par des thériomorphes, des humains ou
des animaux. Le masque fut un objet sacré chez les
"Têtes Rondes", symbolisant le mythe qu' il
raconte et les pouvoirs de celui qui le porte.
Chamanisme.
Sur une paroi de Sefar se déroule une
cérémonie mettant en scène une procession
d'orantes, un personnage masqué à grandes oreilles
et des symboles circulaires.
Les orantes avec un nombril proéminent,
aux bras levés en geste d' adoration ou de révérence,
jambes fléchies, aux fesses saillantes souvent cachées
par le retombé e d' un pagne court, peuvent évoquer
une danse de guérison telle qu 'elle se pratiquait
récemment encore chez les San du Kalahari. L' absorption
de substances hallucinogènes provoquait des transes,
jusqu 'à la perte de connaissance. A leur réveil,
des hommes racontaient qu 'ils avaient communiqué avec
les puissances de l' au-delà, que leur corps démesurément
allongés avait volé ou nagé sous l' eau,
qu 'ils avaient vu des lumières, les lignes ondulées,
qu 'ils s' étaient transformés en antilope ou
en lion. Des visions comparables semblent avoir été
peintes sur des parois du Tassili N'Ajjer.
Cette fresque paraît regrouper des éléments
de la pratique chamanique, tambour, danse de possession.
Cette autre fresque de Tin Tazarift
dégage une impression d' irréalité. Il
est possible que les artistes aient eu l' intention de dépeindre
la vision hallucinée de la sortie de soi, du voyage
vers un autre monde dans un état modifié de
la conscience.
Ce grand personnage qui semble flotter évoque
le voyage du chaman pendant la transe. Sa tête porte
peut être un masque muni d' appendices. A l' un de ces
bras est attachée une forme en croissant, le poignet
de l' autre bras est élargi, comme entouré d'
un bracelet.
Des archers semblant aussi porter des masques
encadrent les personnages volants.
Comme le magicien africain,
le chaman est un médiateur entre sa communauté
et le monde des esprits. il est tout à la fois prêtre,
guérisseur, voyant, sorcier, devin et psychologue.
Ses pouvoirs, obtenus après une longue initiation,
lui confère une puissance bénéfique ou
redoutable. Par toutes sortes de technique, de rythmes et
de mouvements, par le consommation de substances hallucinogènes
ou psychotropes, le chaman pratique la transe ou l' extase
comme moyen de voyager vers les mondes autres, de communiquer
avec les esprits, de s' en faire des alliés et de revenir
dans le monde réel, dans son groupe, pour soigner la
maladie ou l' infortune. (F. Soleilhavoup).
Cette approche "chamanique"
ne fait pas l'unanimité, la seule chose sur laquelle
s' accorde les spécialistes est le sentiment de malaise
procuré par l' aspectétrange des compositions.
Incompréhensible pour des esprits logiques,
ces figurations mystérieuses ressemblent à certaines
images réalisées par des malades mentaux et
plus précisément par des sujets drogués
aux hallucinogènes. (U Sansoni).
L' abri de Timeshral situé dans le
wadi Aramat en Libye est décoré avec des regroupements
de points rouges qui sont uniques au Sahara. Il est possible
que ces décorations aient été destinées
à des pratiques animistes de nature chamanique.
Les dessins utilisent les accidents naturels de la roche,
fissures et creux permettent la communication avec le monde
des esprits.
La difficulté d' interpréter
ces images réside dans la quasi impossibilité
d' émettre des hypothèses quand à la fonction
sociale et à l' état de la psyché des
auteurs des fresques. On doit fonder ces conjectures sur le
fait que la pensée chamanique, résiduelle de
nos jours, serait l' un des universaux de l' esprit humain.
La "Dame Noire" de
Sefar. Elle fait partie des êtres masqués qui
sont, au même titre que les "Grands Dieux",
les figures les plus représentatives de la période
"Têtes Rondes", relevant de la même
atmosphère religieuse et d' une esthétique remarquable.
La spiritualité inscrite
dans l' esthétique de ces personnages fait penser soit
à des humains ayant un rôle précis à
jouer lors des cérémonies, soit à des
héros de récits mythiques. Ce sont des hommes
ou des femmes initiés aux codes qui permettent d' accéderà
l' occulte.
Les sociétés dites
primitives qui, aujourd'hui, perpétuent de telles pratiques
picturales : les Aborigènes d' Australie, les Saudawe
de Tanzanie, les Boschiman du Kalahari vénèrent les images
de leur art rupestre et leur attribuent des pouvoirs occultes.
Chez les Aborigènes, les peintures sont régulièrement
repeintes au cours de cérémonies et de rituels,
c' est un art encore vivant et dynamique comme le fut celui
des "Têtes Rondes".
Les "Grands
Dieux" ou la "Dame Noire" ne doivent pas être
appréhendés comme des images statiques et muettes,
ils parlent et bougent, ce sont des dieux.
Sefar est
un temple avec ses autels et un langage visuel dont les images
mythiques ne peuvent être comprises que si on les contemple
avec sensibilité. Les mythes et leurs images sont les
premières tentatives de l' Homme pour comprendre l'
univers. Par le mythe il trouve un exutoire aux mystères
de la vie et de la mort, générateurs d' angoisse,
et il gagne en sérénité. (Malika Hachid).