Les guerriers libyens.

Vache qui se tait chérit plus que vache qui meugle. (proverbe touareg).

 

Têtes "trilobées". Iwelen.
Les semis de points évoquent les maquillages cérémoniels des pasteurs africains.

Les gravures dites de l' école du "guerrier libyen" sont concentrées dans les régions de l' Aïr au Niger et de l'Adrar des Iforas au Mali avec cependant quelques représentations modestes dans le Tassili N'Ajjer et le Djado.

L es gravures de cette école se distinguent de celles du bubalin grâce à deux critères :

- Un type de personnages dessinés dans un style géométrique, représentés debout, de face. Les têtes sont hypertrophiées en forme de tulipe à trois pointes, conformes à des stéréotypes qui représentent certainement des coiffures ornementales volumineuses, "bilobées", "trilobées" ou en "champignons".
- Un style très schématique qui affectionne les lignes droites et les angles nets qui permet de les identifier même si les personnages sont absents.

Un personnage sur trois est armé, soit d' une lance, soit de plusieurs javelots, , ce qui explique l' appellation de l' école.

Les compositions sont pratiquement toujours statiques, et les personnages plus ou moins détaillés suivant les parois, allant de figurations très schématiques à des personnages évolués avec des vêtements chargés de décorations.

 

Tête trilobée. Iwelen.

Même si les gravures semble constituer un ensemble relativement homogène, l' analyse des différentes scènes, les vêtements, les parures, les coiffures, les armes, le contexte animalier permettent de différencier des phases.

La faune sauvage, souvent utilisée pour différencier les différentes période, est ici la même sur toutes les gravures. Elle est imagée par l' éléphant, le rhynocéros, la girafe, les antilopes, le lion et l' autruche. Tous ces animaux habitaient encore le massif de l' Aïr il y a quelques siècles. Les bovidés sont aussi très présents.

Par contre le présence ou non d' inscriptions libyco-berbères(tifignah) permet d' identifier deux phases distinctes et Henri Lhote proposait en 1987 la classification suivante :

  • phase ancienne : présence de caractères alphabétiques, boeufs particulièrement nombreux, représentation de chars.
  • phase récente : présence de caractères alphabétiques plus ou moins anciens.

Christian Dupuy précise cette analyse et identifie deux contextes de réalisation de ces gravures associés à des environnements animaliers différents : les "porteurs de lance" et les "porteurs de javelots" (cf. article parue dans la revue Sahara N°10).

Dans les sites où les deux familles sont réunies, il est fréquent que les gravures des porteurs de javelots recouvrent celles des porteurs de lance, l' ordre inverse ne s' observant jamais.


Les cibles des chasseurs : antilope, girafe, autruche et singe. Iwelen.

Les porteurs de lance

Les personnages sont revêtus de tuniques courtes, étranglées à la taille. La silhouette présente ainsi une forme bi triangulaire. Les bras décollés du corps n' ont pas d' épaisseur, les mains sont représentées avec des doigts écartés.

Parmi les animaux représentés les bovins (1 sur 2), les autruches (1 sur 4) et les girafes (1 sur 8) jouaient des rôles particuliers si l' on en juge par la place qu' ils occupent dans les représentations.

Selon Christian Dupuy cette phase correspond au développement d' une économie pastorale dans le sud du Sahara à une époque où, le métal étant connu, la lance devient l' arme la plus utilisée. Les pointes de lance sont de forme triangulaire à bas élargie et comportent une nervure centrale très nette qui indique probablement une armature métallique.

Les personnages porteur de lances sont souvent associées à des animaux dans des scènes de chasse.

Même si l' homme est généralement au coeur des représentations, la faune sauvage est aussi très présente. Éléphant, rhynocéros, lions sont gravés dans la pierre ainsi que de nombreuses autruches et antilopes.

Ces représentations témoignent d' une chasse encore importante dans le quotidien des habitants du site ainsi que d' un biotope beaucoup plus humide que l' actuel.

Les girafes sont représentées en grand nombre sur tout le site, parfois chassées, parfois reliées à un homme dans ce que l' on peut concevoir comme une approche de la domestication.

Le dessin des contours permet une identification immédiate des espèces et il apparaît clairement que les graveurs ont cherché à reproduire la réalité optique sans cependant éviter d' utiliser des stéréotypes pour la représentation de ces animaux.

 

Cette manière très codifiée d' exprimer les formes, humaines et animales, correspond à un système de pensée original qui apparaît à cette époque dans l' Aïr et l'Adrar des Iforas.

 

 

Vestiges sur l' aire d' habitation : matériel de broyage dispersé sur le sol.
Tumulus à cratère.
Le site d'Iwelen.

Les gravures présentées ici pour illustrer cette école des guerriers libyens proviennent du site d' Iwelen situé dans le massif de l' Aïr au Niger. Le principale intérêt de ce site est d' associer des gravures, par ailleurs nombreuses dans tout le massif, à des vestiges archéologique issus d' une aire d' habitat assez étendue. Cette association rupestres/vestiges est très rare au Sahara. Le site comporte en outre de nombreuses sépultures monumentales.

La station d'Iwelen se présente comme un ensemble archéologique complet avec un village, une nécropole et des gravures rupestres qui, les fouilles l' ont montré, sont contemporains.     Carte du site d 'Iwelen >>.

En effet des pièces métalliques ont été retrouvées sur le site, notamment trois pointes de lances foliacées en tôle de cuivre tout à fait semblables à celles que l' on peut observer sur les gravures.

Le site offre par ailleurs de nombreux tessons de poterie. Cette abondance semble avoir donné son nom au site. En effet Iwelen est le pluriel de ewil qui signifie tesson, débris de poterie en tamahak.

Une cinquantaine de monuments funéraires ont été fouillés lors de plusieurs campagnes. Les morts qui y sont inhumés sont accompagnés de poteries et d' instruments identiques à ce que l' on a retrouvé sur le site de surface. Cette présence dans les tombes témoigne d' ailleurs de préoccupations extra-matérielles.

Les datations effectuées sur le site donnent des résultats variant entre 2160 et 2680 BP (avant nos jours).

Chasse à la girafe avec un char. On distingue nettement la nervure centrale de la pointe de la lance qui indique une armature métallique. Iwelen.

Les Chars.

Les guerriers sont parfois associés à des chars. Il en existe deux exemplaires sur le site. Un de ces chars est associé à une scène de chasse à la girafe.

Char schématique. On distingue les chevaux de part et d' autre du timon.

Les chars de l'AÏr sont très schématiques. Sur celui-ci on distingue nettement la structure: c' est un engin à deux roues rayonnées réunies par un essieu avec un timon unique. Il n'y a pas de conducteurs, pas de guides. Les animaux qui le tirent sont aussi très schématiques, ils n' ont pas de cornes et sont pourvus d' une longue queue, il semble que ce sont des chevaux.

La composition à plat est caractéristique des chars de l' Aïr, les roues et les chevaux sont dédoublées verticalement en miroir dans un espace sans profondeur.

 

L' identité des porteurs de lance.

La thèse la plus répandue, élaborée par Henri Lhote dans les années 50, est celle d' un mouvement d' expansion d' une population conquérante venue de Libye, d' où le nom de "guerriers libyens". Cette thèse est crédité par la continuité des oeuvres rupestres représentant des chars entre la région du Fezzan en Libye jusqu'au Soudan, la fameuse "route des chars".

Association de l' homme et du boeuf. Celui-ci est en perspective tordue: cornes de face et corps de profil.

Ce scénario n' est plus le seul envisageable, Christian Dupuy en propose un autre (revue Sahara N° 10, 1998).

En effet les peintures de l' époque caballine du Sahara central et les gravures de l' Aïr sont très différentes mis à part le fait de comporter des chars. Les peintures représentent essentiellement des scènes de vie domestique et socio-anecdotique des campements alors que dans les gravures l' élément faunique prime.Les chars de l' Aïr sont de toute façon très schématiques, voir approximatifs par rapport à ceux du Sahara central. Les associations entre chars et porteurs de lance sont relativement marginales.

Par contre la station d'Iwelen comporte de nombreuses gravures montrant les porteurs de lance en association avec des bovins. Plutôt qu' un glissement Nord/sud de population, cet art rupestre semble témoigner de l'avénement d' un pouvoir guerrier chez des groupes d' éleveurs de bovins, peut être à cause de la détérioration du climat, et qui pour renforcer leur autorité s' arment de lances et se dotent de chevaux et de chars importés du Sahara central.

La diffusion vers le sud de ces biens peuvent résulter des relations et échanges commerciaux entre Sahara central et méridional. La similitude des sépultures résultent aussi de ces relations.

Le biotope était alors beaucoup plus humide que l' actuel, comme en témoigne la présence de la grande faune sauvage. Élever des chevaux dans un tel milieu est très délicat, ceux-ci étant sensibles aux parasites des régions humides. Cet élevage est incompatible avec une vie nomade à longueur d' année. Actuellement les populations vivant au sud du lac Tchad enferment leurs chevaux pendant la saison des pluies. On peut remarquer qu' on ne trouve pas de représentation de mouton, lui aussi très sensible aux parasites, dans les gravures su Sahara méridional, alors qu' il est fréquent dans les peintures du Tassili.

On peut penser que le cheval fut adopté par ces éleveurs de bovins afin de compléter une stratégie de prestige, et que ceux-ci durent modifier leurs habitudes pour le protéger des épizooties tropicales.

Actuellement les chevaux de petites tailles qui évoluent dans certaines régions du sahel sont peut être les descendants des chevaux introduits dans le sud du Sahara il y a 2500 ans.

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