Ceux qui ont quitté
un lieu pour changer de campement y ont laissé
le vide de leur absence et une tristesse brûlante.
(dicton du Hoggar).
Pour le dictionnaire le Désert
est un lieu vide qui n'est pas habité. Ceci n'est pas
tout à fait vrai grâce à une poignée
d'hommes qui a su mettre en oeuvre des stratégies pour
s'adapter à un milieu extrème et survivre. Le
nomadisme est l'une d'elles.
Kalakoa, chamalier Kel Ferwan de l'Aïr.
Les clichés occidentaux propagent l'idée que
les nomades vivent libres par rapport à l'espace et
au temps, affranchis des contraintes des hommes sédentaires
coincés entre le travail et la maison.
Mais la réalité est tout autre. Les nomades
sahariens sont avant tout des pasteurs contraints de se déplacer
pour assurer la subsistance de leurs troupeaux, ce qui entraine
une grande dispersion des tribus toujours à la recherche
des meilleurs paturages. Les nomades vivent dans une région
qu'ils aiment et s'ils la quittent , c'est sous la pression
de contraintes très fortes. Les déplacements
sont réguliers et les itinéraires répétitifs
se trouvent à l'intérieur d'une région
bien définie. Le nomadisme n'est pas une errance.
Les nomades vivent des troupeaux et sont liés à
une nature imprévisible. L'eau et les paturages indispensables
aux hommes et aux troupeaux sont sont renouvelés chaque
année de manière très variable. Le nomade
apparait en fait comme l'homme affronté aux riques
naturels sans compter celui de représenter pour les
gouvernements une humanité archaïque sortie directement
du néolithique et qui doit s'intégrer au monde
moderne qui ne peut être que sédentaire.
La dispersion explique en partie la caractère original
de la société nomade où il n'a jamais
existé de pouvoir central fort. Il y avait bien des
chefs, aménokal chez les Touaregs, derdé
chez les Toubous, mais c'était des chefs choisis par
consensus au terme d'interminables tractations et aux pouvoirs
limités.
Ne constituant pas de véritables nations les sociétés
nomades saharienne furent jusqu'à la colonisation de
veritables sociétés sans Etat qui s'autorégulaient
dans une sorte d'anarchie ordonnée.
Ceci permet peut être d'expliquer la fascination
qu'exerce aujourd'hui le désert et ses populations
sur les citadins occidentaux que nous sommes, et notre désir
de rencontre avec ces nomades et leur mode de vie.
Le monde des sédentaires, ce
qu’on nomme généralement la civilisation,
ne pourra survivre que s’il emprunte aux nomades une
certaine manière de vivre, qui est faite de simplicité
et d’endurance, parfois d’ascèse.
De toutes ces sociétés nomades celle des Touaregs
est certainement la plus connue car la plus médiatisée.
Le
fuseau Touareg. (source : E. Bernus)
Un
pays Touareg?
Il n'existe pas à proprement parler
de pays Touareg. Ceux-ci sont répartis aujourd'hui
dans cinq pays, deux tournés vers la Méditérranée
: Algérie et Libye, et trois tournés vers l'Afrique
noire : Niger, Mali et Burkina Fasso.
Cependant Théodore Monod a proposé
un autre découpage du Sahara suivant le sens des méridiens.
Il est composé d'une alternance de "fuseaux"
constitués soit de zones hyper désertiques comme
l'ensemble Majâbat al Koubrâ et Tanezouft ou bien
le Ténéré soit de domaines culturels
homogènes. Il identifie notamment trois fuseaux culturels
: le fuseau Maure, le fuseau Touareg et le fuseau Teda-Daza.
Le fuseau Touareg comprend les massifs du
Hoggar, de l'Aïr et de l'Adrar des Ifoghas ainsi que
les différents Tassilis et s'enfonce au sud jusqu'aux
savanes du Sahel.
Installés dans cet environnement particuliérement
aride les Touaregs ont développé un mode de
vie basé sur un pastoralisme nomade.
Ce
fuseau Touareg constitue un pont et le principal axe de liaison
entre le Maghreb et l'Afrique noire qu'empruntaient autrefois
les caravanes. Jusqu'au début du XX siècle le
contrôle de ces échanges commerciaux constuait
un des socles de la société touaregue. Le pays
touareg n'a jamais constitué un obstacle aux caravanes
mais a joué un rôle de filtre sécurisateur
de sorte que le commerce entre la Méditérannée
et l'Afrique noire n'a jamais été interrompu.
Les Touaregs ont constitué un trait
d'union entre ces deux mondes.
Chameliers
Touaregs Kel Ferwan de l'Aïr.
Organisation
politique.
Une des caractéristique du monde
Touareg est une organisation politique fondée suivant
un modèle pyramidal qui varie très peu, basé
sur une hiérarchie sociale qui va d'une aristocratie
guerrière (imajeghen) au monde des serviteurs
(iklan) en passant par les religieux (ineslemen)
et les guerriers vassaux (imghad). Au sommet l'aménokal
possesseur d'un ettebel (tambour de guerre) qui représente
le pouvoir était toujours choisi dans une tribu de
l'aristocratie guerrière, mais son pouvoir n'était
pas héréditaire. Les artisans (inadan) qu'on
a l'habitude d'appeler forgerons, forment une catégorie
à part.
Les composants varient en importance . Les religieux sont
par exemple majoritaires chez les iullemmeden Kel Denneg alors
qu'ils sont minoritaires chez les kel ahaggar où Inversement
les imghad sont les plus nombreux. Mais cette organisation
se retrouve dans toutes les confédérations touaregues.
L'élément de base est la tribu (tawshit) qui
réunit des membres se reconnaissant une même
origine ou un ancêtre commun. L'importance de chaque
tribu est aussi variable, pouvant rassembler de quelques dizaines
à quelques centaines voir milliers de personnes. Les
divers campements d'une même tribu partagent la même
aire de nomadisation, appartiennent au même ettebel
et se réfèrent à la même catégorie
sociale.
Au fil des migrations et des guerres les différents
groupements politiques se sont constitués avec des
éléments qui diffèrent par leur origine,
leur date d'arrivée et les conditions de leur intégration.
Kalakoa
pile le mil afin de préparer l'ghajira, mélange
de mil pilé, de lait caillé et de dattes.
C'est l'aliment de base du voyageur.
L'histoire de ces groupes Touaregs nous a été
rapportée dans un premier temps essentiellement par
les administrateurs coloniaux. Ceux-ci, le plus souvent issus
de l'aristocratie française se sont intéressés
uniquement aux récits des aristocrates Touaregs, occultant
ceux des autres catégories et ont fortement accentué
le rôle des tribus nobles dans l'organisation politique.
Cette vision superficielle amena même à parler
d'un "féodalisme nomade" et à établir
un parrallèle entre la société des "seigneurs
du désert" et celle de l'Europe médiévale.
Depuis peu des auteurs ont étudié l'histoire
des confédérations touaregues en se basant sur
les traditions orales des tribus vassales (Dag-Ghali chez
les Ahaggar, Pandolfi 1998) ou des religieux (histoire des
Kel Denneg, Ajolaly 19975). Ces études ont permis une
vision moins stéréotypée, montrant le
rôle et l'importance de chaque catégorie sociale.
Un autre type d'organisation sociale qui contrebalançaient
l'organisation pyramidale est notamment apparu chez les Toauregs
iullemmeden.
Cependant cette forme d'organisation politique ne constitue
plus désormais qu'une façade conservée
par l'administration et ne représente plus le cadre
dans lequel la société touaregue peut se reconnaître.
C'est donc ailleurs que les Touaregs vont rechercher le système
de valeurs qui va permettre de les situer par rapport aux
autres.
Identité
touaregue.
Bourani,
touareg Kel Medak, ancien méhariste et guide
du parc des Ajjer.
Femme
Touaregue de l'Aïr.
Balal,
Kel Ifoghas et guide chamelier, rassemble les chameaux.
Les Touaregs sont connus sous une appellation qui leur est
étrangère et qui n'est utilisée que par
les étrangers.
Selon Hélène Claudot-Hawad le terme Touareg
aurait été forgé à partir du berbère
"targa" qui signifie "le canal",
"le creux de la vallée" et constitue l'appellation
locale du Fezzan en Libye. De ce nom de lieu les voyageurs
arabophone ont fait un nom de population repris plus tard
par les occidentaux qui l'ont orthographié touareg.
Selon Henri Duveyrier il proviendrai de la racine d'un mot
arabe: "les arabes ont donné
à nos tribus le nom de Touâreg et à
notre langue celui de târguïa, du participe
arabe târek, au pluriel toûareg
qui signifie les "abandonnés de Dieu" sous-entendu
parce que nous avons, pendant longtemps, refusé d'adopter
le religion que les arabes nous apportaient. Mais ce nom,
qui nous rappelle une situation ancienne dont le souvenir
est aujourd'hui injurieux pour nous, n'a jamais été
celui de notre race." (Henri Duveyrier. Les Touaregs
du nord).
Les Touaregs se désignent eux-même par une appellation
qui est commune à la plupart des populations de langue
berbère. "Nous sommes
Imûhagh, disent les Azdjer, Imocharh disent
les Ahaggar et les Aouélimmiden, Imâjirhen
disent les Touaregs de l'Aïr. La langue que nous parlons
s'appelle temâhaq ou temâcheq
selon les dialectes. Ces cinq mots, qui sont les noms de notre
race et de notre langue, dérive de la même racine,
le verbe iohagh, qui signifie : il est libre, ,il est franc,
il pille." (Henri Duveyrier. Les Touaregs du nord).
Ces termes, Imajaghen dans l'Aïr, Imuhag dans le nord,
font référence à la culture et au comportement
qu'elle induit.
L'identité Touaregue ne s'exprime pas par une couleur
de la peau où par un type morphologique mais par une
unité culturelle. Selon Hélène Claudot-Hawad
cette identité est definie par le terme temust
n imajaghen. Temust signifie le corps social
auquel se rattachent les individus, liés par la même
identité culturelle et politique. Les traits retenus
pour définir cet ensemble sont : la langue, le mode
de vie, le système de valeur et l'organisation politique.
Temust n imajaghen définit les contours du monde
touareg, un groupe humain parlant la même langue, suivant
le même code de l'honneur guerrier, possédant
les mêmes références culturelles et organisé
suivant un système confédéral.
La société touaregue est avant tout un fait
culturel et linguistique, On peut devenir Touareg, c'est le
cas des serviteurs et anciens esclaves qui ont adopté
le mode de vie de la société qui les a absorbés.
On peut aussi quitter les Touaregs, c'est le cas des tribus
qui vivent dans les zones marginales et qui, en se sédentarisant,
sont immergées dans les populations qui les environnent
et perdent leur langue.
Yeghia,
kel Eherir et guide du parc des Ajjer. Grand spécialiste
des peintures rupestres du plateau de Tadjélahine.
"Etre Touareg, c'est savoir rester à sa place,
c'est se comporter comme la société attend que
vous vous comportiez, en fonction de votre age, de votre sexe,
ou de votre rang. Ne pas se conformer à ces règles,
c'est aller au devant de l'exclusion."
Les Touaregs possèdent un code du comportement appellé
"Tekarakayt" et qui est souvent traduit par "réserve"
ou "pudeur". C'est peut être cette retenue
qui pousse l'homme à porter le voile et à rester
à sa place.
Le port du voile, le taguelmust, est un des éléments
d'identité les plus forts, communs à tous les
Touaregs. La manière de le porter permet de s'identifier
à une région. Le port du voile intervient après
la puberté quand le jeune homme est jigé apte
à tenir son rang d'adulte et qu'il le prouve en subissant
certaines épreuves.
Les gestes associés à ce port du voile susbsistent
encore comme une expression du code de l'honneur reproduisant
les significations ancestrales. Ainsi en présence d'une
personne qu'ils respectent, les Touaregs ont un réflexe
: tirer sur les pans mobiles du voile pour dissimuler leur
visage.
Origine
des Touaregs.
Jeunes
écolièrs
de l'école de Chin Fanghalan (Azawagh - Niger).
Avant les Touaregs les légendes et
les mythes font mention de gens à l'esprit borné
parlant la langue tamajeq dans un dialecte spécial
et grossier. Ces populations appellées "hommes
d'autrefois", les Kel Iru puis les Isebeten
sont peut être les ancètres des tribus vassales,
les tribus nobles descendant elles des migrations plus récentes.
Beaucoup de puits encore en usage sont réputés
avoir été creusés par les Kel Iru.
L'Aïr est occupé avant les Touaregs
par des populations noires dont on ne sait pas grand chose.
Certains groupes parlaient peut être un langage proche
du Songhay qui est considéré comme une langue
archaïque par les linguistes et qui a pu être étudié
dans quelques communautés présentes au sud ouest
du massif. D'autres groupes de langues Houssa et vivant au
Nigéria estiment être originaire de l'Aïr.
"Si tu nous demandes de mieux
préciser les origines de chaque tribus, et de distinguer
les nobles de serfs, nous te dirons que notre ensemble est
mélangé et entrelacé comme le tissu d'une
tente dans lequel entre le poil de chameau avec la laine de
mouton. Il faut être habile pour établir la distinction
entre le poil et la laine, cependant nous savons que chacune
de nos nombreuses tribus est sortie d'un pays différents."
(Henri Duveyrier. Les Touaregs du nord).
Les Touaregs rassemblent des populations venues souvent par
petits groupes du nord du Sahara et qui ont absorbé
les populations locales. Il s'agit d'un véritable brassage
humain.